La chronique Pl. Fin. de novembre 2010 est présentée en collaboration avec l’Institut québécois de planification financière.

Les rentes viagères sont des outils extraordinaires pour gérer le risque de survivre à son capital. Elles sont l’équivalent des régimes de retraite à prestations déterminées. Cela dit, toutes les rentes ne sont pas sans risque. Mal utilisées, certaines peuvent avoir des conséquences successorales et fiscales imprévues !

Il existe essentiellement deux types de rente, les rentes en service et les rentes d’accumulation. Ces deux types de rentes peuvent être enregistrées ou non.

Une rente en service est créée lorsqu’une personne transfère la propriété d’un capital à un assureur vie et que celui-ci, en contrepartie, garantit à un rentier des versements périodiques (une rente) pendant une période donnée (rente certaine, par exemple 15 ans) ou pendant toute la vie (rente viagère) du rentier et du corentier (dans le cas de rente réversible ou conjointe), s’il y a lieu.

Les assureurs vie n’étant pas des institutions de dépôt, ils offrent plutôt des rentes d’accumulation dont le taux d’intérêt est garanti pour une période de 30 jours, 1 an, etc. Les fonds distincts sont aussi des rentes d’accumulation, mais dont le capital est variable plutôt qu’entièrement garanti. Ces fonds prévoient une garantie de capital au décès du rentier.

Entre autres avantages des rentes offertes par les assureurs, elles sont assimilées à l’assurance vie (article 2393 du C.c.Q.). Cela rend possible la nomination de titulaires (propriétaires) subrogés, de corentiers et de bénéficiaires. La nomination de titulaires subrogés et de bénéficiaires peut se faire par le contrat d’assurance ou par un autre écrit, incluant les testaments (art. 2446 du C.c.Q.). Mal gérées, ces situations peuvent avoir parfois des conséquences fâcheuses. En voici deux exemples.

Premier exemple
Pierre est titulaire d’un fonds distinct (FD) non enregistré. Dans son testament, il lègue l’universalité de ses biens à sa conjointe Marie. Au décès de Pierre, la juste valeur marchande (JVM) de son fonds est supérieure de 50 000 $ à son prix de base rajusté (PBR). S’il a nommé Marie comme corentière et titulaire subrogée, le transfert du FD à Marie se fera au PBR, et les impôts ne seront payables qu’au décès de Marie. Par contre, s’il n’a pas nommé de corentier, le contrat de rente se terminera et la valeur du FD sera remise au bénéficiaire. Le gain en capital devra alors être inscrit dans la dernière déclaration de revenus du défunt (Pierre). Aucun roulement fiscal ne pourra être effectué en faveur de Marie au décès de Pierre.

Si Marie est corentière, cela n’élimine pas toutes les complications possibles. Ainsi, si au décès de Pierre, la JVM du FD est inférieure à la somme des primes versées, la compagnie d’assurance ne versera pas la garantie au décès du rentier. Cette garantie de capital sera versée uniquement au décès de tous les corentiers.

Si le contrat de rente avait été enregistré, la valeur du fonds aurait été versée au REER, qui aurait pu être transféré à Marie sans conséquences fiscales.

Deuxième exemple
Paul est titulaire d’une rente d’accumulation (à capital variable ou non) enregistrée dont la valeur est de 500 000 $. Il nomme Lise, sa conjointe de fait, comme bénéficiaire. Dans son testament, il lègue tous ses autres biens à son fils Henri, né d’une union précédente. Au décès de Paul, Lise reçoit de l’assureur, à titre de bénéficiaire, la somme de 500 000 $. Elle n’est pas obligée (mais elle peut le faire) de la transférer dans son propre REER. Au contraire, elle a un intérêt financier à ne pas le faire… Si elle ne le fait pas, la somme de 500 000 $ devra être déclarée dans la déclaration de revenus du défunt (Paul) et les impôts sur cette somme deviendront exigibles 1, ce qui diminuera la valeur de la succession qu’Henri recevra.

Pour éviter ce problème, Paul doit, dans son testament, nommer Lise comme légataire de son REER, à charge d’en assumer les impôts. Une nomination de bénéficiaire, elle, ne peut se faire à charge de payer les impôts 2. Mais cette façon de faire comporte un autre risque, puisque l’absence de nomination de bénéficiaire permet plus facilement la saisie du REER en cas de difficultés financières de Paul.

La nomination ou non de titulaire subrogé, de corentier et de bénéficiaire doit se faire après une analyse approfondie des objectifs et de la situation du client. N’hésitez pas à consulter un juriste. Dans tous les cas, le juriste qui prépare le testament doit être informé de ces nominations, puisqu’il en aura besoin pour rédiger un texte qui respectera les volontés du testateur.


Denis Preston, CGA, MFA, FRM, pl. fin., GPC, formateur et consultant en gestion des risques, Bachand Lafleur Preston, Groupe conseil inc.

Cet article a été écrit en collaboration avec Me Guylaine Lafleur, notaire et planificatrice financière.


1. Le bénéficiaire pourrait être tenu de payer les impôts si la succession est déficitaire.
2. Un jugement de la cour supérieure dans la cause M.L.c.Desjardins Sécurité financière, C.S. Trois-Rivières 400-17-001523-071, 2009-01-08, SOQUIJ AZ-50554329, 2009 QCCS 1998, J.E. 2009-1049 (9 pages) a cependant reconnu qu’il était possible pour un assuré d’obliger par testament un bénéficiaire désigné d’une police d’assurance vie à rembourser certaines de ses dettes. Par contre, la cour ne s’est pas prononcée à savoir si cette clause était considérée comme une révocation de bénéficiaire ou comme une charge imposée à un bénéficiaire, ce qui, dans certaines situations, pourraient avoir des conséquences légales et fiscales très importantes. Nous vous invitons donc à une grande prudence et vous recommandons d’attendre que la position jurisprudentielle soit davantage clarifiée avant de recommander à vos clients de procéder de cette façon.


Cet article est tiré de l’édition de novembre du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.