En entrevue exclusive à Conseiller.ca, la ministre Monique Jérôme-Forget a clairement indiqué que les conseillers devraient assumer la hausse des cotisations au Fonds d’indemnisation des services financiers(FISF). « On ne peut pas s’assurer contre la fraude. Il faut donc que quelqu’un paie », a-t-elle affirmé, ajoutant que ce ne seront ni les contribuables ni le gouvernement qui écoperont de la facture. Cela dit, elle laisse un porte entrouverte. En effet, les conseillers pourront exprimer leurs doléances et formuler des recommandations au cours des audiences de la Commission des finances publiques, où la question de la gestion et du financement du FISF sera débattue.

Monique Jérôme-Forget est le numéro deux de l’actuel gouvernement québécois. Députée libérale de Marguerite-Bourgeoys, elle est ministre des Finances, ministre des Services gouvernementaux, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor. C’est d’elle que relève l’Autorité des marchés financiers(AMF). Malgré un horaire très chargé, Monique Jérôme-Forget a accepté de répondre à nos questions.

Conseiller.ca: L’AMF veut augmenter substantiellement le montant des cotisations que les représentants en épargne collective et les conseillers en sécurité financière versent au FISF. Êtes-vous favorable à ces hausses?
Monique Jérôme-Forget: La loi est claire: le FISF doit être renfloué sur une période de cinq ans par ses cotisants. Mais il est vrai que les augmentations sont importantes.

Conseiller.ca: Pour justifier ces hausses, l’AMF dit: « Compte tenu de l’historique de risque de chaque discipline, et étant donné que le cas Norbourg est relié à la discipline du courtage en épargne collective, le projet de règlement propose de faire assumer à cette discipline la quasi-totalité du coût de ce cas exceptionnel. » Or, le scandale Norbourg ne relève pas d’un problème de courtage, mais de gestion…
Monique Jérôme-Forget: Les représentants voyaient bien que Norbourg offrait des rendements beaucoup plus élevés que les autres. Pourtant, ils doivent être davantage au fait de l’environnement financier dans lequel on vit. Si les représentants ne sont pas sensibles aux risques additionnels de travailler avec quelqu’un qui promet des rendements de 20 % ou 22 %, je pense qu’ils ont une mauvaise approche.

Conseiller.ca: Mais ce ne sont pas tous les représentants qui ont vendu des produits de Norbourg.
Monique Jérôme-Forget: Écoutez, je ne peux pas prendre position tout de suite à cet égard-là. J’ai demandé à la Commission des finances publiques de se pencher sur cette question [la hausse des cotisations au FISF]. Les groupes qui expriment leur désaccord sur le projet de règlement proposé par l’AMF vont pouvoir sensibiliser les parlementaires. La Commission des finances publiques devrait être en mesure de formuler des recommandations qui vont obtenir l’assentiment des trois partis politiques.

Conseiller.ca: Quand la Commission des finances publiques doit-elle reprendre ses travaux?
Monique Jérôme-Forget: Très prochainement, au début d’octobre.

Conseiller.ca: En août dernier, la Chambre de la sécurité financière(CSF)recommandait la mise sur pied d’un groupe de travail pour déterminer et proposer des paramètres de gestion et de cotisation plus viables en ce qui concerne le FISF. Qu’en pensez-vous?
Monique Jérôme-Forget: Je ne suis pas complètement ferméeà créer un groupe de travail. Mais il est clair que cela relève davantage du mandat de la Commission des finances publiques. Déjà, beaucoup de personnes et d’organismes ont exprimé leur opinion concernant le FISF : l’ACCOVAM, l’ACCAP, l’AMF, la CDPQ, le CFIQ, Option consommateurs, Jean-François Guimond, Stephen Jarislowsky, Michel Marcoux et bien d’autres. Je ne vois pas ce qu’on pourrait faire de plus!

Conseiller.ca: La CSF voulait vous rencontrer pour vous présenter son projet de former ce groupe de travail…
Monique Jérôme-Forget: Oui, je dois les rencontrer lundi [24 septembre 2007].

Conseiller.ca: Que répondez-vous àla CSF lorsqu’elle dit que l’AMF ne devrait peut-être pas gérer le FISF, parce que l’indemnisation ne répond pas à la même dynamique que les autres fonctions de l’AMF?
Monique Jérôme-Forget: Que la loi prévoit que c’est l’AMF qui doit s’occuper de ça. Le FISF est un fonds complètement autonome. Certains disent que l’AMF se trouve en conflit d’intérêts parce qu’il gère le FISF. Je ne vois pas où est le conflit d’intérêts.

Conseiller.ca: Le FISF est dirigé sans un conseil d’administration. Pourquoi?
Monique Jérôme-Forget: Parce que ce fonds n’est pas une personne morale.

Conseiller.ca: Pourtant, l’article 2 du Règlement sur l’administration du FISF dit que les sommes d’argent constituant le Fonds « sont placées par son conseil d’administration »…
Monique Jérôme-Forget: Cet article s’appliquait au fonds qui existait avant la mise en place de l’AMF. Il sera remplacé à la prochaine modification législative.

Conseiller.ca: Que répondez-vous à la CSF lorsqu’elle dit qu’il est inéquitable que seuls les représentants paient pour le scandale Norbourg?
Monique Jérôme-Forget: J’ai répondu à cette question précédemment. Quand arrive le moment d’imposer un groupe en particulier pour financer les indemnisations à la suite d’un désastre comme celui de Norbourg, il y aura toujours des gens qui vont se soulever, car on touche à leur porte-monnaie. Par ailleurs, ce sont ces mêmes personnes qui protestaient parce qu’on n’indemnisait pas suffisamment de monde. Vous vous en rappelez, n’est-ce pas? Elles sont venues témoigner pour dire que leurs clients devraient être indemnisés. Quand on a dédommagé partiellement les investisseurs lésés dans l’affaire Norbourg, les gens étaient heureux. Maintenant qu’il faut payer, on rouspète. Je crois qu’il y a une grande ambivalence là-dedans. Vous savez, le FISF est très innovateur. Il donne une sécurité aux investisseurs. Il a un aspect extrêmement positif à l’endroit de la vente de produits d’épargne collective en particulier. Aucune autre juridiction au pays ne dispose d’un tel fonds.

Conseiller.ca: Mais seuls les conseillers provisionnent un fonds qui protège l’ensemble des investisseurs. S’il arrive un autre scandale à la Norbourg, on mettra le FISF à sec encore une fois. Ce mode de financement est-il viable à terme?
Monique Jérôme-Forget: Vous avez raison, on a un problème. Si le FISF existe, c’est qu’on ne peut pas s’assurer contre la fraude. Il faut donc que quelqu’un paie, et ce ne seront ni les consommateurs ni le gouvernement qui vont passer à la caisse. Il est certain que je ne demanderai pas à une personne qui gagne 28000 $ par année et qui n’a pas les moyens de mettre de l’argent de côté de payer pour ça. Par ailleurs, devant la hausse importante des cotisations au FISF, j’ai vérifié quels montants devaient débourser les professionnels qui pratiquent dans d’autres domaines, comme les comptables, les psychologues et les ingénieurs, par exemple. Je vous assure que les représentants du secteur des services financiers ne sont pas les plus mal en train à cet égard-là.

Conseiller.ca: Les conseillers indépendants devront absorber directement la hausse des cotisations, alors que ceux qui travaillent pour les grandes institutions financières verront leur employeur acquitter la note. Cette situation n’est-elle pas inéquitable?
Monique Jérôme-Forget: Je ne peux pas vous répondre. Je vais attendre les recommandations de la Commission des finances publiques. Mais je vais vous dire ceci: il faudra que les conseillers soient bien au fait de se surveiller entre eux, d’informer le public des dangers de faire affaires avec des cow-boys qui promettent trop de rendement.

Conseiller.ca: Jusqu’en 2001, les investisseurs versaient une cotisation de 0,50 $ sur chaque transaction boursière qu’ils réalisaient. Cet argent allait dans le fonds consolidé de la CVMQ afin de financer ses activités. Les autorités ont aboli cette cotisation dans un souci d’harmonisation avec les autres provinces. Serait-ce une bonne idée de réintroduire une telle cotisation afin de financer le FISF?
Monique Jérôme-Forget: Je ne suis ni pour ni contre pour le moment. Si on me propose cette avenue, je vais l’examiner.

Conseiller.ca: Avant que l’AMF n’entreprenne une deuxième consultation relative à l’encadrement du secteur de l’épargne collective, elle proposait que le Mutual Fund Dealers Association(MFDA)puisse devenir éventuellement l’organisme d’autoréglementation de cette industrie au Québec. Comment avez-vous accueilli cette proposition?
Monique Jérôme-Forget: Ça fait longtemps que le MFDA veut venir au Québec. Mais nous avons déjà une loi avant-gardiste qui offre plus que ce que propose le MFDA comme encadrement. Par conséquent, je ne souhaite pas qu’on lui permette de prendre la relève.