Sous la pression conjuguée « du progrès technologique, des intérêts économiques des banques et de la volonté des gouvernements », l’argent liquide « semble condamné à une marginalisation croissante », du moins en Europe, rapporte Le Monde.

« Le comptant n’existera probablement plus dans 10 ans », déclarait d’ailleurs en janvier John Cryan, directeur général de la Deutsche Bank, lors du Forum économique mondial de Davos, en Suisse.

En 2015, quelque 1 080 milliards d’euros (1 550 G$) ont été échangés sous forme de billets et 26 milliards d’euros (37 G$) sous forme de pièces sur le Vieux Continent, rappelle le quotidien, qui note que « les espèces pèsent de moins en moins lourd dans les moyens de paiement des particuliers ».

C’est notamment le cas en France, où elles représentent environ 15 % de la valeur des transactions, soit nettement moins qu’en Allemagne, championne européenne de l’utilisation du comptant, en Italie ou en Grèce, par exemple, mais plus qu’en Suède, où elles ont aujourd’hui quasiment disparu. Et la tendance ne semble pas près de s’inverser, en tout cas dans l’Hexagone, puisque la Fédération française des banques anticipe un recul de 20 % des paiements en liquide d’ici à 2021.

DISPARITION AMORCÉE AU MOYEN ÂGE

Cette « dématérialisation » des paiements va dans le sens de l’Histoire, souligne Le Monde, qui cite l’économiste Michel Aglietta, auteur de La Monnaie. Entre dettes et souveraineté : « En Europe, elle a commencé au Moyen Âge avec l’apparition des lettres de change entre marchands italiens. Ce mouvement s’est accéléré au XXe siècle avec la généralisation des chèques, puis, au XXIe siècle, avec celle de la monnaie électronique. »

Selon l’économiste, « la dématérialisation, qui permet d’améliorer l’efficacité des transferts financiers, pourrait aller, au moins en théorie, jusqu’à une abstraction complète : une monnaie pourrait exister sans espèces ».

FORTES RÉTICENCES DANS LA POPULATION

Toutefois, cette évolution provoque de nombreuses réticences dans certains pays européens. Un sondage de Brink’s France réalisé au printemps montrait par exemple que les deux tiers des Français assuraient « ne pas pouvoir se passer des espèces ». Et au début de l’année, le tabloïd allemand Bild a appelé ses millions de lecteurs à empêcher toute tentative de limiter les paiements en espèces.

Pour une grande partie de la population, « l’argent liquide met en confiance », puisqu’on l’a « pour de vrai ». De plus, le sentiment de sécurité que procure le comptant favorise l’épargne : d’après une enquête menée en 2011 par la Banque centrale européenne, seul un tiers des billets imprimé serait utilisé pour effectuer des transactions, le reste étant mis de côté.

Si nombre de citoyens refusent l’abolition de l’argent liquide, d’autres deviendraient carrément exclus de la société, car « l’argent dématérialisé n’est pas accessible à tous, même en Europe », note Le Monde.

« S’AFFRANCHIR DES POUVOIRS »

Enfin, l’attachement de M. et Mme Tout-le-Monde aux espèces sonnantes est également lié à « la recherche d’une forme de liberté », ajoute Le Monde.

« La monnaie a pour vocation de libérer l’individu d’une dette. Or, seule la monnaie fiduciaire permet de s’acquitter de sa dette immédiatement, de rompre sa dépendance à autrui et donc de retrouver sa liberté. Un paiement numérique reste soumis à une autorisation bancaire, et un chèque peut être rejeté », commente l’économiste Philippe Adair.

« L’immédiateté du paiement en cash contribue à ce sentiment de liberté, mais l’anonymat compte encore plus », poursuit le quotidien, notamment parce que cela permet des comportements de dissimulation, voire la fraude (évasion fiscale, travail au noir, corruption, trafics en tous genres, etc.). Autant de raisons avancées par les autorités politiques et monétaires pour justifier leur désir d’encadrer davantage l’usage de la monnaie fiduciaire.

« Des achats anodins aux trafics illicites, l’argent liquide permet toujours de s’affranchir de la tutelle d’institutions étatiques ou bancaires », relève Le Monde, qui voit « un rapport étroit entre la monnaie, les moyens de paiement et la confiance dans les institutions ». Dans ce contexte, la multiplication des monnaies locales depuis une trentaine d’années représente un phénomène intéressant puisqu’elles se caractérisent « par un ancrage fort dans une communauté ou dans un territoire, en marge des pouvoirs étatiques et bancaires centralisés », remarque-t-il.

De ce point de vue, ces monnaies alternatives rejoignent le bitcoin et d’autres monnaies numériques non réglementées « créées par des particuliers, hors du contrôle des États, des autorités monétaires et des banques », affirme le quotidien français. Sa conclusion? « La monnaie n’échappe pas aux revendications démocratiques. »

La rédaction vous recommande :