J’assistais la semaine dernière à une formation en conformité offerte par un grand réseau de distribution. Nous étions une bonne centaine de conseillers présents en cet après-midi pluvieux d’automne, et vous devinez aisément que nous rêvions tous d’être ailleurs, à mille lieues…

Toutefois, durant la présentation, une citation m’a interpellé et s’est incrustée dans mon esprit. L’avocate qui dispensait le cours a souligné avec conviction : « Savez-vous que vous êtes les professionnels les plus réglementés au monde ! Plus règlementés qu’un médecin écrivant une prescription à son patient; plus encadrés qu’un avocat rédigeant une mise en demeure pour son client ». Elle-même avocate, je présumais alors qu’elle était pleinement consciente de ses dires.

Sur le même thème, quelques jours auparavant, la Chambre de la sécurité financière (CSF) publiait un communiqué signalant que, sur ses 32 000 « membres »*, une cinquantaine seulement avaient été radiés en 2009. Cette statistique remarquable confirmait que seulement 0,2 % d’entre nous étaient fautifs. Données de loin meilleures à celles de la très grande majorité des professions libérales.

Une question m’est venue aussitôt : Pourquoi toute cette surveillance à notre endroit, toute cette méfiance, tout ce climat de suspicion savamment instauré et désormais implanté auprès du public ?… Est-ce que nous méritons réellement toutes ces multiples contraintes ?

Des mots pour la Chambre
Sur une meilleure note, je tiens tout de même à féliciter la Chambre d’avoir enfin commencé à diffuser systématiquement les données sur ses radiations. Aussi, je trouve sa plus récente campagne médiatique, axée enfin sur la compétence de ses « membres »*, réussie. C’est un pas dans la bonne direction ! Espérons-le, nous qui sommes ses principaux bailleurs de fonds (ses assujettis). Ce qui devrait nous donner, en situation normale, un minimum de respect et de considération de celle-ci.

* (Permettez-moi ici une petite précision : la différence entre un membre et un assujetti repose sur le fait que le premier peut adhérer volontaire à un organisme ou une entité, tandis qu’un assujetti est un cotisant obligatoire et sans pouvoir envers l’organisme. Donc, je vous informe que nous sommes plutôt des « assujettis », et non des membres de la Chambre. Et ce, malgré ce que l’organisme stipule depuis toujours. Fin de la parenthèse).

Les conseillers à l’origine du FISF
Chose identique à propos du fameux FISF (Fonds d’indemnisation des services financiers). Nous sommes les seuls et uniques pourvoyeurs de ce fonds. Nous en sommes même les instigateurs, et ce, bien avant la création de l’AMF. Nous avions même décidé, jadis, que ce fonds avait pour motif sincère d’offrir un dédommagement aux victimes de conseillers ayant fait des manœuvres dolosives ou des malversations envers eux. Mais il ne fut aucunement décidé que le fonds dédommagerait des investisseurs en cas de fraude d’un gestionnaire, comme ce fut le cas dans l’affaire Norbourg. Pourtant, l’Autorité en a décidé autrement et a exigé de nous une hausse immédiate (et sans notre consentement) de nos cotisations, et ce, d’une façon substantielle et irréversible…

Au même moment, comme si ce n’était pas suffisant, la prestigieuse revue Protégez-vous affirmait haut et fort – et avec un brin d’enthousiasme – que la moitié des conseillers québécois étaient des incompétents !!! Campagne financée, de surcroît – et dans les faits –, par l’AMF.

Qui défend les conseillers ?
Mais dans tout ce brouhaha, qui est venu prendre position et défendre notre réputation ? Autre question intéressante, n’est-ce pas ? Personne. Pas même une grande institution financière s’est levée, et qui, pourtant, emploie plusieurs d’entre vous. De mémoire, seul le RICIFQ (Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec) – un organisme bénévole et à but non lucratif – l’a fait !

Par la suite, cette même AMF a dépensé plus d’un million de dollars dans sa campagne Investiguez avant d’investir. Publicité choc, que plusieurs victimes de Norbourg et de Jones ont peine à supporter et à voir encore aujourd’hui. Car, selon eux, l’AMF leur a ainsi fait porter, en quelque sorte, l’odieux et la responsabilité de leur perte. Par la même occasion – et à nouveau –, le climat de suspicion envers les conseillers était renforcé et désormais bien enraciné.

En 2008, la crise nous a tous frappés de plein fouet. Nous avons également subi en rafale, ces dernières années – et contre notre volonté –, une panoplie de scandales à la « Bre-X, Nortel, Enron, WorldCom, Norbourg, Mount Real, Portus, Norshield, Caisse de dépôt, Earl Jones, Madoff, Morinville… » Dois-je en rajouter ? Nous qui sommes aux premières loges, devant nos clients, nous étions seuls pour leur donner de plus amples explications, les écouter et les réconforter.

Le conseiller moins applaudi…
J’aime faire l’analogie entre un comédien ou humoriste de talent et un conseiller émérite. L’humoriste reçoit, à chacune de ses prestations, une ovation souvent bien nourrie et méritée. Ce qui, par la suite, l’énergise, le stimule et le motive à recommencer dès le lendemain. Et après une centaine de prestations, celui-ci peut rêver rapidement de prendre une belle année sabbatique pour se reposer et retourner à l’écriture ou la confection de son prochain spectacle.

Pour le conseiller, contrairement à ce premier, c’est souvent et régulièrement deux ou trois présentations par jour qu’il livre à ses clients. Et à chacune d’elles, il doit se donner à fond, y mettre tout son énergie, sa concentration et son attention. Mais rarement, en retour, il recevra d’ovation ou d’applaudissements. Et pourtant, il refait volontiers avec assiduité ce travail jour après jour, et ce, pendant plusieurs années consécutives avant de pouvoir un tant soit peu ralentir ou se permettre une année sabbatique. Et non seulement il n’espère que très rarement recevoir des fleurs de ses clients, mais, par les temps qui courent, et en raison de toutes les histoires de malversation financière qui existent et qui monopolisent l’actualité, il reçoit bien souvent le pot ! Ça prend bien un bouc émissaire, n’est-ce pas ? Et nous, les conseillers, on semble avoir le dos assez large merci !

Mais ça, c’est juste entre nous…

« Me mêler de mes affaires »
En passant, je peux indéniablement bien comprendre et saisir l’ampleur de votre travail, et les nombreux impératifs de notre profession. Depuis près de 20 ans, je n’ai fait aucune autre chose que d’être conseiller. À mes débuts, comme représentant captif, ensuite comme conseiller semi-captif et, enfin, comme conseiller indépendant. J’ai donc, croyez-moi, fait le tour du jardin…

Je suis donc pleinement conscient de vos angoisses, de vos peurs et de vos préoccupations face à votre avenir. Et c’est pour toutes ces raisons, chers collègues conseillers, que j’ai un profond respect pour vous… Nous avons gravi l’Everest tous ensemble ces dernières années et ce, sans aucun appui ni aucune aide. Acceptez mes plus sincères félicitations !!!

Au cours des prochaines semaines, je tenterai de me mêler de mes affaires… C’est-à-dire de discuter avec vous de ce qui nous concerne en tant que conseiller. Ce qui est de l’importance à nos yeux : nos enjeux, notre encadrement, notre pratique, notre relève. Aussi, à l’occasion, j’émettrai quelques commentaires sur l’actualité financière et sur ce qui nous touche de près et de loin, mais auquel il serait essentiel qu’on s’attarde, ou qui mérite réflexion.

« Est-ce normal d’avoir peur ? »
Je suis conscient qu’avec certain de mes propos, je vais augmenter ma « banque d’amitiés » auprès de l’AMF et qu’ensuite, par « pure coïncidence », on viendra peut-être, qui sait, avec le sourire possiblement, enquêter. Mais je sais que plusieurs d’entre vous tremblent aussi à l’idée de cette simple pensée. Je le remarque dans plusieurs blogues ou tribunes téléphoniques; très peu d’entre vous osent s’identifier par crainte de représailles éventuelles.

Mais, en ce sens, j’ai une autre et dernière question pour aujourd’hui : est-ce normal que nous ayons peur ainsi ? Est-ce cela que les autorités voulaient instaurer ?

De mon côté, je n’ai relaté que les faits et uniquement les faits. Sans plus ! Et croyez-moi, je ne veux aucunement partir en cavale contre l’AMF, loin de moi cette intention Même chose à l’endroit de la CSF. Ils ont leur mission et leur raison d’être. Celles-ci sont simplement différentes des nôtres, voilà tout !

Toutefois, j’apprécierais que ces organismes nous accordent à l’occasion un minimum de considération. Que le vent tourne enfin et que nous puissions tous ensemble (avec eux) faire avancer les choses positivement et de façon constructive.

Oh, je vous entends déjà dire : « Méchant idéaliste, ce type. Il rêve en couleur en pensant qu’on peut travailler main dans la main avec ces mêmes entités qui nous gouvernent, nous régissent, enquêtent sur nous et, finalement, nous sanctionnent ». Ne vous en faites pas, on me l’a déjà servie.

Mais le climat de confiance est actuellement totalement éventé auprès de la population québécoise. Et c’est principalement ça qui est préoccupant et qui devrait tous nous interpeller.

Dans un prochain texte, je tenterai bien humblement d’énumérer des pistes de solution à cet égard. Il est primordial de rétablir ce climat de confiance si fortement altéré depuis ces dernières années. J’ai bon espoir que nous pouvons y arriver, mais à condition de le faire tous ensembles Pas chacun individuellement, isolé dans son coin.

Un blogue pour vous
En terminant, j’aimerais remercier Conseiller.ca d’avoir créé ce blogue interactif qui s’adresse tout spécialement à nous et de m’offrir le privilège de m’exprimer auprès de vous. Finalement, je vous invite d’emblée à intervenir et à participer en grand nombre. Plusieurs défis s’offrent à nous dès maintenant. Puissent nos discussions futures être des plus passionnantes et enjouées. Car, une fois de plus, c’est ensemble – et par nos échanges –, que nous pourrons veiller à la pérennité de notre noble profession. Chers collègues conseillers.

Respectueusement vôtre,

Léon

Planificateur financier, assureur vie agrée et conseiller indépendant dans la région de Montréal, Léon Lemoine compte près de 20 ans d’expérience dans l’industrie. Il fut un des membres fondateurs et président du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec. Il est père de deux enfants et un entraîneur dévoué de football amateur.

Site web du RICIFQ : www.regroupement.ca.