Spéculation, prêts hypothécaires à risque, produits dérivés, paradis fiscaux, manipulations des taux interbancaires, surendettement, explosion des inégalités… Un récent texte du Vatican critique sévèrement le système financier mondial, jugé « profondément amoral ».

Publié jeudi dernier, Oeconomicae et pecuniariae quaestiones (Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel) a été rédigé par la Congrégation pour la doctrine de la foi et le Dicastère pour le service du développement humain intégral, créé par le pape François.

Dans ce document de 18 pages, les analystes du Vatican dressent un tableau accablant du monde de la finance, insistant sur le fait que, « aujourd’hui plus que jamais, les problèmes économiques et financiers attirent notre attention en raison de l’influence croissante des marchés sur le bien-être matériel d’une bonne partie de l’humanité », ce qui devrait requérir à la fois « une juste régulation de leurs dynamiques » et « un fondement éthique clair ».

DES PRATIQUES « IMMORALES » ET « PRÉDATRICES »

Malheureusement, déplore le Vatican, c’est tout le contraire qui se produit, en particulier depuis le crise financière de 2007-2008. En effet, celle-ci aurait pu être l’occasion de « développer une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques et pour une nouvelle régulation de l’activité financière, en éliminant les aspects prédateurs et spéculatifs et en valorisant le service à l’économie réelle ». Or, « aucune réaction n’a permis de repenser ces critères obsolètes qui continuent de gouverner le monde. Au contraire, un égoïsme aveugle semble parfois prévaloir, limité au court terme, faisant fi du bien commun » et « excluant de ses horizons la préoccupation non seulement de créer mais aussi de partager la richesse et d’éliminer les inégalités aujourd’hui si aiguës ».

Le texte du Vatican passe au crible le fonctionnement des différents instruments financiers employés sur les marchés, estimant que ces derniers sont en réalité devenus des machines à enrichir un petit nombre au détriment de tous les autres, et ce, à grand renfort de pratiques « immorales », « prédatrices » et « inacceptables d’un point de vue éthique ». Pire, certains de leurs acteurs sont assimilés à des « associations de malfaiteurs » qui pratiquent un « cannibalisme économique ».

Les représentants de la Congrégation pour la doctrine de la foi et du Dicastère pour le service du développement humain intégral estiment également que, dans le monde économique et financier actuel, certains des outils ou moyens employés constituent « des cas d’immoralité proche, c’est-à-dire des occasions très facilement propices aux abus et aux escroqueries, souvent au détriment de la partie moins avantagée ». « Dans la situation actuelle, la complexité de nombreux produits financiers fait de cette inégalité un élément inhérent au système lui-même, et place les acquéreurs en situation d’infériorité par rapport à ceux qui les commercialisent », affirment-ils.

« LES MARCHÉS NE PEUVENT SE RÉGULER EUX-MÊMES »

« Ce qui est moralement inacceptable, poursuit le Vatican, ce n’est pas le simple fait de faire un gain, mais celui d’utiliser à son avantage une inégalité pour générer des profits importants au détriment des autres; c’est de faire fortune en abusant de sa position dominante au détriment d’autrui ou de s’enrichir en nuisant au bien-être collectif ou en le perturbant. Cette pratique se révèle particulièrement déplorable d’un point de vue moral, quand un petit nombre de gens – voire d’importants fonds d’investissement – mû par pur désir de gain, se sert des hasards d’une spéculation pour provoquer une baisse artificielle du prix des titres de dette publique, sans se soucier du fait qu’il influence négativement ou aggrave la situation économique de pays tout entiers. (…) La spéculation, en particulier dans la sphère économique et financière, risque aujourd’hui de supplanter toutes les autres finalités majeures qui sous-tendent la liberté humaine. »

Dans ces conditions, affirme le Saint-Siège, « il est clair que le puissant moteur de l’économie que sont les marchés n’est pas en mesure de se réguler par lui-même : les marchés, en effet, ne peuvent ni produire les conditions qui leur permettent de se développer dans les règles (cohésion sociale, équité, confiance, sécurité, lois…), ni corriger leurs effets et leurs expressions nuisibles à la société humaine (inégalités, dégradation de l’environnement, insécurité sociale, fraudes…). »

« IL FAUT CONTINUELLEMENT REMETTRE LES RÈGLES À JOUR »

Soutenant que « les marchés ont besoin de directives solides et fortes, macro-prudentielles aussi bien que normatives, qui soient uniformes et partagées par le grand nombre », les auteurs du texte précisent que ces règles « doivent aussi être continuellement mises à jour, vu la réalité même des marchés constamment en évolution ». « Ces orientations doivent garantir un contrôle sérieux de la fiabilité et de la qualité de tous les produits économiques et financiers, en particulier les plus complexes. Lorsque la rapidité des processus d’innovation produit des risques systémiques excessifs, les opérateurs économiques doivent accepter les contraintes et les freins exigés par le bien commun, sans tenter de les contourner ou d’en réduire la portée. »

« L’ÉPARGNE DES MÉNAGES DEVRAIT ÊTRE BIEN ADMINISTRÉE »

Le Vatican juge en outre que « la bonne santé du système financier exige également l’information la plus complète possible afin que chaque personne puisse protéger, dans la pleine liberté et en toute conscience, ses intérêts » : « En effet, il est important qu’elle sache si son capital est investi à des finalités de spéculation ou non; ainsi elle saura clairement le degré de risque et l’adéquation du coût des produits financiers auxquels elle souscrit par rapport au risque encouru. Ceci est d’autant plus vrai que d’habitude, l’épargne, en particulier celle des familles, est un bien public à protéger et qu’elle vise une optimisation qui redoute le risque. Cette épargne, lorsqu’elle est placée auprès des mains expertes des conseillers financiers, exige qu’elle soit bien administrée et pas simplement gérée. »

Parmi les comportements « moralement discutables » dans la gestion de l’épargne par les conseillers financiers, le texte signale « le mouvement excessif du portefeuille de titres dans le but principalement d’augmenter les revenus générés par les commissions pour l’intermédiaire »; « le défaut de l’impartialité requise dans l’offre des instruments d’épargne, en cas d’accord illicite avec certaines banques, lorsque leurs produits sont mieux adaptés aux exigences du client »; « le manque d’une correcte diligence ou même la négligence coupable de la part des consultants au sujet de la protection des intérêts du portefeuille de leurs clients »; ainsi que « l’octroi d’un prêt par un intermédiaire bancaire, sous réserve de la souscription parallèle à d’autres produits financiers émis par le même, éventuellement non favorables au client ».

« Tout cela génère et diffuse facilement une culture profondément amorale au sein de laquelle on n’hésite plus souvent à commettre de délit lorsque les avantages prévus dépassent les pénalités fixées. Cela affecte sérieusement la santé de tout le système économique et social, compromettant sa fonctionnalité et endommageant gravement la réalisation effective du bien commun sur lequel repose nécessairement toutes les formes de la vie sociale », dénoncent les auteurs du texte.

« L’ARGENT DOIT SERVIR ET NON PAS GOUVERNER! »

Enfin, ces derniers critiquent sévèrement le recours de plus en plus massif à l’évasion et à l’évitement fiscal, déplorant notamment le fait que « la richesse privée accumulée par certaines élites dans des paradis fiscaux a presque égalé la dette publique de leurs pays respectifs ». Pour freiner ces pratiques, il préconise par exemple d’instaurer un impôt minimum sur les transactions réalisées à l’étranger, dont le montant pourrait contribuer à résoudre le problème de la faim dans le monde.