Employé se cachant sous un cartable, assis à son bureau.
Photo : Andriy Popov / 123RF

Faut-il suivre les règles à la lettre? N’y a-t-il pas de place pour les nuances et le « gros bon sens » lorsque vient le temps de conseiller un client sur SA situation? Si l’on se fie à la conformité, non.

À la suite de mon dernier billet, j’ai reçu un message fort intéressant. Il émanait d’un conseiller possédant une longue et solide expérience au sein d’une moyenne institution financière qui distribue, entre autres, des fonds d’investissement. Nous avons longuement discuté de LA conformité chez son courtier.

Il m’a soumis le cas d’un couple de clients par courriel, dont des copies de ses échanges avec LA conformité. Il s’agissait de retraités bénéficiant de confortables revenus, notamment de leurs régimes de retraite respectifs. Pas de dettes, pas de grosses dépenses, pas de soucis financiers.

Ils souhaitent tous les deux investir en actions par l’intermédiaire de fonds d’investissement. Ils connaissent la Bourse depuis très longtemps et ont vécu sereinement la crise de 2008. Ils n’ont pas besoin de plus de revenu que ce que leur régime de retraite leur verse chaque mois. Bref, une situation solide, que les clients contrôlent parfaitement.

Tout cela a été clairement analysé par le conseiller et rapporté à LA conformité.

Cette dernière réagit mécaniquement : ce couple, vu l’âge de ses membres, doit investir en obligations! Il s’est ensuivi un dialogue de sourds et le client en a été informé par son conseiller. Il a maintenu sa décision d’investir en actions. LA conformité a dû s’incliner!

« Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. »  Proverbe biblique

MYOPIE MÉCANIQUE

Cherchons la vérité, cherchons l’explication!

Vers la fin de notre conversation, notre conseiller m’apprend que son courtier exige que la fiche client transmise à LA conformité soit remplie pour chaque compte séparément : une fiche pour le REER, une fiche pour le CELI, une fiche pour le REEE, une fiche pour le compte régulier, etc.

Ahurissant! Comme si la tolérance personnelle au risque pouvait varier d’un compte à l’autre. Bien sûr, les objectifs et les horizons de placement pourront être et seront différents, mais pas la tolérance au risque.

C’est le combat que j’ai mené au sein de la compagnie de courtage avec laquelle j’ai travaillé pendant plus de 20 ans. Après de nombreuses années, j’ai fini par remporter la bataille : LA conformité a finalement fait preuve d’intelligence et a accepté le concept de ma vision globale de la tolérance au risque et, en conséquence, a modifié son programme informatique pour y inclure la possibilité d’une seule fiche par client.

Une victoire pour celui-ci, qui gagne de la flexibilité dans la répartition de ses actifs en fonction des objectifs, de l’horizon de placement et de la fiscalité de chacun de ses comptes!

J’ajouterai que si la conformité voulait être vraiment utile à l’épargnant, elle devrait inclure dans la vision globale idéale non seulement les comptes ouverts chez le courtier A, mais aussi chez le courtier B et à la banque C. Ainsi, nous disposerions d’un vrai portrait financier du client.

Voilà tout un défi, tant technique qu’humain. Mais ce n’est pas en cédant à la facilité d’une vision en petits morceaux éparpillés que le client sera bien servi. Ce n’est pas en empêchant le conseiller, quels que soient les permis qu’il détient, de faire son métier que la difficulté sera surmontée.

Observer la lettre de la loi est une chose; mais l’esprit de la loi veut que le conseiller serve bien son client, avec logique dans une vision globale.

L’HUMAIN NE SE QUANTIFIE PAS

Les techniques des agents de conformité me semblent être appliquées aveuglément. Je crois que cette attitude relève surtout de l’utilisation des ordinateurs, que j’appelle affectueusement la non-intelligence artificielle, et de la négation suspicieuse de la qualité du travail des conseillers et de l’importance de leurs conversations avec leurs clients.

Certes, la conformité doit comporter une partie « mécanique », qui concerne l’identification du client, ses données personnelles et familiales, son bilan actuel, etc. Mais elle doit aussi tenir compte de l’aspect humain, appréhendé par les connaissances professionnelles et la psychologie du client. C’est au conseiller de nouer ce lien en dehors de tout algorithme. Ce dernier, de toute évidence, n’est pas pris en considération par les agents de conformité.

Note : la vie d’un conseiller n’est pas un long fleuve tranquille. Notre parcours est parsemé d’embûches normales ou anormales, utiles ou inutiles, nécessaires ou futiles.

Dans la seconde catégorie, on assiste à un lent phénomène d’empoisonnement depuis une quinzaine d’années à cause des institutions financières qui craignent les poursuites. C’est la judiciarisation du processus de travail : le conseiller est pressé de terminer ses analyses et remplir la documentation comme s’il se trouvait en permanence devant un tribunal criminel qui a le pouvoir de l’emprisonner et de le condamner à des amendes énormes. Ceci a créé un climat de crainte et d’incertitude malsaine dans la conscience professionnelle des conseillers.

Certes, des fraudes gigantesques sont survenues dans bien des pays et bien des régions. Mais elles ont été plus souvent le fait de compagnies financières que de conseillers.

Il y aura toujours des brebis galeuses. Heureusement, elles restent très peu nombreuses. Considérer tous les conseillers comme de potentielles brebis galeuses constitue une erreur fondamentale de conception et de pensée des autorités.

Dans ce contexte impossible, il nous apparaît que les agents de conformité ne possèdent simplement pas les aptitudes et les outils nécessaires pour exercer utilement leur métier dans des conditions intelligentes. Mais la loi est la loi, même si son application sensée est ardue. C’est triste.

Heureusement, les conseillers sont de mieux en mieux formés. De nombreuses règles déontologiques les guident dans leurs analyses. Laissons-les faire leur travail avec des contrôles flexibles et de qualité. Il y aura toujours quelques pommes pourries, mais les syndics des organismes d’autoréglementation s’en occupent. Parfois trop lentement, mais l’élagage finit par être fait.