Andriy Popov / 123RF

L’objection la plus fréquemment entendue lorsqu’un conseiller offre un régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI) pour une personne handicapée est la suivante : est-ce que l’accumulation de capital dans un régime d’épargne-invalidité me fera perdre mes prestations d’aide sociale ou les prestations d’aide sociale que mon enfant pourrait recevoir dans le futur?

En effet, de nombreux clients ont des craintes en la matière :

« Je vais mettre de l’argent pour rien dans le REEI, car mon enfant se fera éventuellement couper sa prestation d’aide sociale. »

Cette croyance, pourtant très répandue, est fausse.

Pour le conseiller qui désire offrir le REEI à ses clients, il est essentiel d’avoir une bonne compréhension des règles du régime d’assistance sociale afin de dissiper les objections quant à la perte des bénéfices possibles.

Nous examinerons donc, dans cet article, l’impact des règles du programme d’aide sociale sur le REEI.

Capital accumulé dans un REEI
La Loi sur l’aide aux personnes et aux familles ainsi que son règlement permet aux personnes bénéficiaires du programme de solidarité sociale (l’aide sociale pour les personnes handicapées) de détenir certains actifs financiers, sans que cela n’affecte leurs prestations de solidarité sociale.

En effet, le Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles stipule que :

138. Aux fins du calcul de la prestation, les avoirs liquides suivants sont exclus :

(…)

13° les sommes accumulées dans un régime enregistré d’épargne-invalidité, y compris celles qui y sont versées sous forme de bons canadiens pour l’épargne-invalidité ou de subventions canadiennes pour l’épargne-invalidité, au bénéfice de l’adulte seul ou d’un membre de la famille et dont celui-ci peut disposer à court terme, selon les règles applicables à ce régime;

Donc, même si le bénéficiaire d’un REEI, ou ses parents, est également bénéficiaire du programme de solidarité sociale, les sommes accumulés dans un tel régime ne seront jamais prises en compte au moment d’établir l’admissibilité à des prestations de solidarité sociale, ou afin d’établir le niveau de prestation de solidarité sociale qui lui sera versé.

Rappelons ici qu’il n’y a aucun plafond d’actifs qu’il est possible de détenir dans un REEI. On peut contribuer à raison d’un maximum de 200 000 $. De plus, il est possible de recevoir jusqu’à 70 000 $ en subventions (nommée la subvention canadienne pour épargne-invalidité, ou SCEI) et 20 000 $ de bon (nommé le Bon canadien d’épargne-invalidité, ou BCEI) dans un tel régime.

De nombreux bénéficiaires de REEI pourront ainsi accumuler des actifs importants. Prenons l’exemple d’une personne handicapée qui commence, à l’âge de 21 ans, à cotiser annuellement à son REEI, à raison de 1500 $ par année, et qui se qualifie pour le BCEI. À 60 ans, elle aura accumulé, à un taux de croissance annualisé de 5 %, la somme de 607 000 $ dans son REEI.

Revenus générés par un REEI
Le capital accumulé dans un REEI ne viendra pas affecter les prestations de solidarité sociale, mais qu’arrivera-t-il au moment de décaisser des sommes accumulées dans le REEI?

Rappelons qu’il est obligatoire de commencer à décaisser les sommes contenues dans un REEI à compter de l’année où le bénéficiaire atteint l’âge de 60 ans, par l’entremise d’un paiement viager pour invalidité (PVI).

Lors de la création du REEI, en 2008, le Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles permettait de recevoir, pour une personne seule, jusqu’à 300 $ de PVI, sans affecter la prestation de solidarité sociale.

Une telle somme était toutefois jugée insuffisante par de nombreux bénéficiaires, en regard des sommes qui pouvaient être accumulées dans un REEI.

En effet, lorsque le régime est principalement constitué de subventions et de bons, la formule de décaissement minimale du PVI est la suivante :

Décaissement minimal pour l’année en cours = juste valeur marchande du régime

3 + (80 – âge du bénéficiaire)

3 600 $ (300 $ x 12) = 82 800 $

3 (80-60)

Sommairement, le bénéficiaire d’un REEI pouvait, jusqu’à tout récemment, accumuler jusqu’à 82 800 $ dans son REEI, sans affecter sa prestation de solidarité sociale au moment du décaissement obligatoire du régime, à compter de l’âge de 60 ans.

Mais, quand on sait qu’il est possible d’accumuler des sommes importantes à l’intérieur du régime, cette possibilité de retirer 300 $ par mois sans affecter les prestations de solidarité sociale ne permettait pas aux personnes handicapées de bénéficier de tous les avantages pécuniaires offerts par le REEI.

C’est pourquoi le gouvernement du Québec a récemment amendé l’article 111 du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles, et ce, afin de permettre de recevoir un PVI pouvant aller jusqu’à 950 $ par mois (pour une personne seule), sans affecter la prestation de solidarité sociale :

111. Les revenus, les gains et les avantages suivants sont exclus aux fins du calcul de la prestation :

(…)

29° Les paiements viagers provenant d’un régime enregistré d’épargne-invalidité effectués au bénéfice d’un adulte, jusqu’à concurrence de 950 $ par mois par adulte bénéficiant d’un tel régime;

Cette modification au règlement permettra dorénavant aux personnes handicapées bénéficiant des prestations de solidarité sociale d’accumuler des sommes plus importantes dans le REEI.

En effet, si on reprend notre formule de décaissement minimal du REEI à l’âge de 60 ans :

Décaissement minimal pour l’année en cours = juste valeur marchande du régime

3+ (80 – âge du bénéficiaire)

11 400 $ (950 $ x 12) = 262 200 $

3 (80-60)

Donc, sommairement, le bénéficiaire d’un REEI pourra dorénavant accumuler jusqu’à 262 200 $ dans son REEI, sans affecter sa prestation de solidarité sociale au moment du décaissement obligatoire du régime, à compter de l’âge de 60 ans.

Rappel sur les subventions
Les taux des subventions versées dans le REEI sont les suivants :

Contribution

Subvention

Revenu familial équivalent ou inférieur à 87 123 $

Première tranche de 500 $

Subvention équivalente à 300 %

Tranche supplémentaire de 1000 $

Subvention équivalente à 200 %

Revenu familial supérieur à 87 123 $

Première tranche de 1000 $

Subvention équivalente à 100 %

Pour résumer, un bénéficiaire ayant un revenu familial annuel équivalent ou inférieur à 87 123 $, et qui effectue une contribution de 1500 $ à un REEI, obtiendra une subvention de 3500 $.

Il est dorénavant possible pour une personne handicapée qui procède à l’ouverture d’un REEI d’obtenir les subventions offertes depuis la création du régime en 2008, si le bénéficiaire avait réclamé le crédit d’impôt pour personne handicapée pour chacune des années depuis 2008.

Il faut toutefois prendre certaines précautions lorsque vient le temps de récupérer les subventions disponibles pour les années antérieures. En effet, la Loi canadienne sur l’épargne-invalidité prévoit qu’un maximum annuel de 10 500 $ est payable en subventions.

De plus, lorsque vient le temps de verser les subventions admissibles pour les années antérieures, les autorités gouvernementales suivront les règles suivantes :

  1. On attribuera les taux d’équivalence les plus avantageux pour le bénéficiaire;
  2. On attribuera les droits les plus anciens avant d’attribuer les droits les plus récents.

Ainsi, une personne handicapée qui aurait réclamé le crédit d’impôt depuis 2008, et dont le revenu familial net durant cette période était dans la tranche inférieure, n’aurait qu’à contribuer 3750 $ en 2013 afin d’aller chercher le maximum de subvention payable de 10 500 $, tel que l’indique le tableau suivant :

Rattraper les subventions des six dernières années :

  • 2013 – Cotiser 3750 $
    • Ce qui donne 3 000 $ x 300 % = 9000 $
    • Ce qui donne 750 $ x 200 % = 1500 $
      • Total : 10 500 $
  • 2014 – Cotiser 5000 $
    • Ce qui donne 500 $ x 300 % = 1500 $
    • Ce qui donne 4500 $ x 200 % = 9000 $
      • Total : 10 500 $
    • Subventions 2013-2014 : 21 000 $
    • Cotisations 2013-2014 : 8750 $
      • Total général : 29 750 $
  • 2015 – Cotiser 3250 $ ce qui donne 7000 $ : 40 000 $

Un bénéficiaire qui procède à l’ouverture d’un REEI en 2013 pourra donc, dans de nombreux cas, se constituer un capital très important, et ce, en l’espace de quelques années seulement.

Conclusion
L’essence même du REEI est de permettre aux personnes handicapées d’acquérir une plus grande indépendance financière. Toutefois, la Loi et le Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles ne permettaient pas de profiter de tous les bénéfices offerts par le REEI. Heureusement, les assouplissements apportés récemment au Règlement favoriseront l’atteinte de la sécurité financière pour les personnes handicapées.


François Bernier, notaire Directeur, planification fiscale et successorale, Placements Mackenzie