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Le modèle québécois est encore une fois contesté. Subtilement, et par le gouvernement du Québec de surcroît. Tous s’entendent pour dire officiellement que la Chambre de la sécurité financière fait un excellent travail sur le terrain mais en coulisse, dans les officines du ministère des Finances… rien n’est moins sûr.

La Chambre a été créée il y a 16 ans par le projet de loi 188, qui est devenu la Loi sur les produits et services financiers. Seul organisme d’auto-réglementation (OAR) multidisciplinaire au pays, la Chambre s’est ajustée et a évolué de manière organique dans son milieu depuis.

Or voilà que le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, a rendu public son Rapport d’application de la Loi sur la distribution des produits et services financiers à la mi-juin. Juste avant les vacances d’été. Non seulement le ministre dévoile un rapport éminemment important pour l’industrie des produits et services financiers dans une période creuse mais, en plus, il donne aux principaux intéressés trois mois, soit jusqu’au 15 septembre, pour commenter par écrit les propositions formulées dans son rapport sur la réforme de la loi 188. Après avoir reçu certaines plaintes fondées de la part des intervenants de l’industrie, magnanime, il a allongé de 15 jours la période de soumission des mémoires. Ainsi, vous avez donc jusqu’au 30 septembre pour donner votre point de vue sur la refonte, cuvée Leitão.

Jusqu’à présent, la plupart des acteurs de l’industrie consultés sont d’accord avec le principe de moderniser la Loi. Le double encadrement implique des fardeaux et obligations difficiles à concilier en raison des chevauchements de juridictions. À terme, les conseillers sont soumis à une surveillance qui varie en fonction de leur employeur et cela sème une certaine confusion auprès des consommateurs lorsque vient le temps de savoir à qui s’adresser lorsqu’ils sont victimes d’abus. Selon ce que l’on a rapporté, on souhaiterait couper dans les processus réglementaires pour couper les coûts. Mais justement, qui dit ça ?

Comme nous en faisions état en juillet dernier, les grandes institutions financières n’aiment pas se rapporter à deux paliers de réglementation : « Il faut se soumettre à la CSF au Québec, et à l’ACCFM ailleurs au pays. Pourquoi ne pas simplifier en fusionnant les deux OAR ? », demandent-t-elles. C’est bien connu, les institutions financières veulent depuis longtemps moins d’OAR. Pour ces dernières, la consolidation, et même la disparition des OAR, « est surtout une question de réduction des coûts ».

Tout se passe comme si le ministre voulait précipiter la refonte de la Loi sans vraiment tenir à avoir le point de vue de l’industrie et des conseillers. Comme le ministre Leitão vient d’une grande institution financière, il doit d’abord montrer son impartialité en donnant le temps nécessaire aux assujettis à la Loi de bien analyser les tenants et aboutissants d’une réforme aussi importante pour l’industrie. Il doit ensuite s’assurer que la refonte soit abordée et réalisée avec tout le sérieux qu’elle commande. L’industrie des produits et services financiers représente quelque 6 % du PIB de la province. Toute modification du paysage législatif ne peut être ainsi brusquée.

De son côté, Flavio Vani, le président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers, voit dans les recommandations du rapport ni plus ni moins qu’une attaque frontale des grandes institutions contre la CSF. Faut-il le rappeler au ministre ? En matière d’encadrement, la CSF est l’un des OAR les plus efficaces au Canada et l’une des institutions les mieux gérées selon le Mouvement québécois de la qualité et le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations.

La CSF a remporté il y a quelques mois une Mention qui est l’équivalent de la troisième marche du podium, derrière les Grands Prix et les Grandes Mentions, aux Grands Prix québécois de la qualité, qui sont remis annuellement aux entreprises privées et aux organismes publics qui se démarquent par la qualité de leur gestion et leur performance globale.

D’ailleurs, les sondages menés par la Chambre au cours des deux dernières années montrent que 98 % de ses membres veulent qu’elle voie au respect de la déontologie de la profession et les soutienne en matière de conformité. La CSF a aussi réalisé, avec Ad hoc Recherche, un audit de perception auprès du public concernant la valeur de la profession et de la Chambre. Le public croit que la Chambre est utile (95 %), qu’elle doit continuer ses efforts pour accroître sa notoriété publique et qu’elle a contribué à améliorer la perception d’honnêteté de la profession (84 %).

Ironique quand même que, depuis que la Cour supérieure a donné raison à la CSF, le ministre s’apprête peut-être à revoir le rôle de la Chambre, un rôle clairement reconnu récemment par la cour.
Les banques doivent maintenant collaborer avec la syndique de la CSF à la suite du jugement rendu contre la CIBC. Sur le terrain, ce jugement reconnaît ainsi à la Chambre les mêmes pouvoirs d’enquête prévus au Code des professions que ceux d’un ordre professionnel.

Par ailleurs, au moment où la CSF doit plaider pour le maintien du système réglementaire québécois, à la suite du rapport d’application de la loi 188, cette reconnaissance de son rôle pourrait néanmoins lui servir de munitions.

Il y a quelques années, au moment où certains remettaient en cause la pertinence de la Chambre, l’ex-président du Conseil des fonds d’investissements du Québec, Pierre Hamel, avait bien résumé l’exercice : « On voudrait désharmoniser le Québec pour harmoniser le Canada. »


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2015 de Conseiller


Yves Bonneau, rédacteur en chef