L’austérité a grandement nui à l’économie québécoise depuis 2013, alors que son impact sur le poids de sa dette a été négligeable, soutient l’économiste Pierre Fortin dans un récent article publié par L’actualité.

M. Fortin se demande ce qui cloche dans l’économie québécoise, dont la performance a été plutôt bonne de 2000 à 2012 par rapport à ses voisins ontarien et américain, mais beaucoup moins depuis 2013. De 2000 à 2015, le produit intérieur brut (PIB) par habitant actif âgé de 15 à 64 ans a augmenté de 16 % au Québec, contre 15% aux États-Unis et seulement 8 % en Ontario, une fois l’inflation déduite. Toutefois, ils ont dépassé le Québec en 2014 et 2015, avec une croissance de 1,4 % comparativement à 2,2 % pour nos voisins de l’Ouest et du Sud.

LA DEMANDE INTÉRIEURE A FLANCHÉ

Pourquoi? Pierre Fortin désigne deux coupables : l’austérité et la démographie, lesquelles ont fait flancher la demande intérieure. Ce n’est pas négligeable, car cette dernière compte pour près de 70 % de la demande totale de notre production économique. Alors que les exportations québécoises hors Canada progressaient de 15 % entre 2013 et 2015, la demande intérieure n’a augmenté que de 0,5 %, contre 4,1 % en Ontario. Cette baisse repose en grande partie sur la chute de l’investissement privé, qui a dégringolé de 14,6 % en deux ans.

Cela est en partie causé par l’arrêt brusque de la croissance démographique annuelle des 15-64 ans, qui ont perdu 12 000 personnes depuis deux ans. Cela a ralenti la demande intérieure, et poussé les entreprises à diminuer leurs investissements privés et leur production.

L’impact aurait pu être limité par des investissements publics dans les infrastructures, mais cela n’a pas été le cas. Pourtant, rappelle l’économiste, l’occasion était belle puisque les taux d’intérêt très bas rendent le financement de ces investissements très peu coûteux. Et le besoin est flagrant, avec un taux de chômage encore relativement élevé et des investissements privés en chute libre.

THÉRAPIE DE CHOC

À ceux qui invoquent le besoin de juguler la dette pour justifier cette décision du gouvernement québécois, Pierre Fortin rappelle que depuis 15 ans, le poids des charges d’intérêts sur la dette dans l’économie a diminué de 40 %. La cote de crédit du Québec a été maintenue ou améliorée par toutes les agences de notation. Le taux d’intérêt sur ses nouvelles émissions d’obligations à échéance de 10 ans avait baissé à 3 %. Son déficit budgétaire, de 0,5 % du PIB, était trois fois moins important que celui de l’Ontario, et le poids de sa dette, à 55 % du PIB, demeurait largement inférieur au niveau maximal de 61 % atteint en 1995.

Bref, selon l’économiste, « la capacité financière du gouvernement provincial n’était pas un obstacle à l’introduction de mesures de soutien à l’économie ».

Malgré cela, le gouvernement québécois a opté pour la thérapie de choc, choisissant de ramener le déficit zéro très rapidement. Il a augmenté son solde de fonctionnement (revenus moins dépenses courantes) de 5milliards de dollars et diminué ses investissements nets dans les infrastructures d’un milliard de dollar. Cela est notamment passé par une augmentation des impôts, des taxes et des tarifs et par une compression des dépenses publiques.

DES ENTRAVES À LA CONSOMMATION

Ces mesures d’austérité ont fait mal et ralenti indirectement la croissance des revenus des entreprises et des ménages, et donc la consommation et les investissements privés. Pierre Fortin calcule qu’en 2015, elles ont amputé le PIB du Québec d’environ 5,6 milliards de dollars par rapport au niveau qu’il aurait atteint sans elles.

Le PIB du Québec par habitant de 15-64 ans aurait dû atteindre 2,1 % par année (comme aux États-Unis et en Ontario). Il a plutôt plafonné à 1,4 % annuellement. Le taux de chômage, plutôt que de baisser sous les 7 % comme en Ontario, a stagné à 7,6 %. Et la création d’emplois affiche un déficit d’environ 40 000 postes, qui auraient pu être créés sans ces mesures d’austérité, estime l’économiste.

COURIR APRÈS SA QUEUE

Heureusement, cette thérapie de choc a atteint son but et fait baisser grandement le poids de la dette publique dans l’économie. N’est-ce pas? Eh bien non. En mars 2014, la dette brute du Québec équivalait à 54,8 % du PIB. Deux ans plus tard, ce ratio dette-PIB n’avait diminué que de 0,2 point de pourcentage, à 54,6 % (en mars 2016).

« C’est l’histoire du chat qui, ayant couru après sa queue, n’a pas réussi à faire beaucoup d’autre chose que du surplace », ironise l’économiste.

Preuve que le gouvernement libéral n’a pas vu venir le coup, en juin 2014, il prévoyait que le PIB du Québec atteindrait 392 milliards de dollars en 2015. Il s’est plutôt élevé à 378 G$. Le budget a une influence importante sur l’économie, surtout dans une période où la banque centrale ne peut faire beaucoup plus que ce qu’elle fait déjà pour la stimuler et où le chômage reste au-dessus de la cible. C’est une leçon qu’il faudra retenir, juge Pierre Fortin.

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