La modernisation en cours de la LDPSF nous aura permis de savoir qui sont les principaux acteurs intéressés dans l’arène de la réglementation, mais surtout qui sont les protagonistes.

Le ministre des Finances, Carlos Leitão, n’avait certes pas l’intention de faire tomber les masques en lançant les intervenants de l’industrie des services financiers dans une lutte à finir où leur légendaire réserve et leur anonymat de coulisses s’effaceraient au profit d’un bras de fer public.

Mais le résultat est là. D’un côté, on savait déjà que les banques exécraient devoir rendre des comptes à la Chambre de la sécurité financière depuis la bataille judiciaire entre la CIBC et la CSF. De l’autre, on entendait dire officieusement que Desjardins trouvait l’organisme d’autoréglementation québécois encombrant, lourd et cher.

Aujourd’hui, il n’y a plus d’équivoque. Le document d’une trentaine de pages du Mouvement Desjardins est un exemple de limpidité mais pas de diplomatie.

Dans son mémoire, Desjardins va droit au cœur de ses préoccupations : les coûts et le fardeau administratif de l’encadrement, de même que la confusion induite auprès des consommateurs, sont les principales raisons de raser le système actuel en faisant disparaître, entre autres, la CSF. « Le moment est venu de passer d’un encadrement établi par des organismes dirigés principalement par des représentants de l’industrie à un encadrement gouvernemental », peut-on y lire. « L’encadrement bicéphale n’est pas optimal sur le plan de la protection des consommateurs, il crée de la confusion et il est coûteux pour les assujettis », conclut Desjardins, qui dit ne pas voir de valeur pour les quelque trois millions qu’elle verse annuellement à la CSF.

Le groupe financier coopératif ne croit pas que les consommateurs seront livrés à eux-mêmes si la CSF et l’IQPF disparaissaient puisque l’Autorité serait parfaitement capable de s’y substituer. Ceux qui prétendent le contraire tiennent un discours alarmiste et déconnecté de la réalité, affirme Desjardins. Selon les auteurs du mémoire : « L’Autorité administrera le régime de formation continue, veillera à la discipline et la déontologie des représentants et des assureurs et décernera le diplôme de planificateur financier. Dans ce modèle d’encadrement simplifié évacuant toute confusion des rôles, le consommateur disposerait de l’Autorité comme interlocuteur unique, et ce, peu importe la nature de ses questions ou des problèmes qui l’affectent… »

On comprend que, comme toute entreprise du domaine, Desjardins souhaite économiser sur les coûts de formation continue et les cotisations de ses Pl. Fin. On s’étonne néanmoins du détour argumentaire du Mouvement Desjardins qui attrappe l’IQPF au passage. Certes, maintenir un standard de compétences élevé peut sembler coûter cher, mais suggérer d’abolir l’IQPF ne fait pas pour autant disparaître les coûts de formation ou de cotisation. Et c’est un pari plutôt risqué de croire que l’expertise à développer de l’AMF dans ce domaine coûtera moins cher et que le régulateur sera plus efficient.

Heureusement, l’équipe de rédaction du mémoire ne représente pas ce que l’ensemble des dirigeants pensent au sein de Desjardins, car ce serait bien désolant. C’est quand même préoccupant. D’une part, les auteurs saisissent plutôt mal le rôle et la mission de l’IQPF et d’autre part, ils font complètement abstraction de l’importance d’un organisme de formation neutre, qui s’applique par ailleurs depuis plus de 25 ans à faire la promotion de la planification financière auprès du public, à relever les standards de pratique (entre autres par l’entremise de la formation qu’elle prodigue) et à en définir les champs d’application, à établir des ponts entre les praticiens autant du ROC qu’à l’international, à intéresser des jeunes à la profession à travers le circuit universitaire, etc. Et soyons clairs, jamais l’AMF ne pourrait occuper cet espace, ce n’est pas sa mission. À moins de vouloir en faire une auberge espagnole ! Faut-il rappeler que le travail de l’IQPF est cité en exemple d’un bout à l’autre du pays, comme celui de la Chambre d’ailleurs.

En se plaçant ainsi en porte à faux par rapport à des institutions québécoises de valeur qui ont fait leurs preuves pour des questions pécuniaires somme toute négligeables, Desjardins risque de s’isoler et renvoie l’image d’une organisation qui se définit comme coopérative mais qui semble agir comme une entreprise cotée en Bourse.

Que valent 5 millions de dépenses sur des actifs de 229 milliards de dollars et des excédents annuels nets de près de 1 600 millions pour contribuer à un encadrement et à la formation de professionnels qui font honneur à l’industrie tout en protégeant les épargnants? Pourquoi ne pas travailler à améliorer ces institutions plutôt que de les jeter ?

Qui plus est, en prenant position de cette façon, cela risque de placer le ministre Leitão, un ancien de la Banque Laurentienne, dans une position pour le moins épineuse. S’il acquiesçait aux demandes de Desjardins et des banques, les organismes de défense des consommateurs, les petits épargnants, les indépendants pourraient l’accuser d’avoir fait son lit avec ses anciens collègues. Ce n’est jamais très vendeur politiquement, même pour un gouvernement majoritaire.

Immédiatement après le dépôt du mémoire de Desjardins, de nombreuses critiques ont été soulevées par rapport à la position de l’institution. Entre autres, par les associations de défense des consommateurs.

Le mot de la fin revient au mémoire d’Option consommateurs : « Il existe en fait [au Québec] un seul système d’encadrement cohérent, comportant deux facettes, chacune étant indispensable à une protection de type prudentielle. Nous considérons que le regroupement de ces deux facettes au sein de l’AMF pourrait aussi conduire à l’affaiblissement de l’encadrement des représentants au profit de l’encadrement des cabinets. Nous préférons que les chambres demeurent des entités séparées, en charge spécifiquement de l’encadrement des représentants. »


Yves Bonneau, rédacteur en chef
yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF.
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