L’alerte est venue du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF). À peine la nouvelle Loi sur le courtage immobilier vient-elle d’être mise en force qu’un pan devra être réécrit. La loi renferme un flou qui empêche les autorités fiscales de reconnaître l’incorporation des agents, devenus des courtiers. Nombre d’entre eux voient leur fin d’année compromise.

« C’est un problème que nous prenons très au sérieux. Se répercutera-t-il sur la fin d’année (financière) des courtiers ? Nous le verrons », lance Robert Nadeau, président de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ), qui prend le relais de l’ACAIQ depuis le 1er mai 2010. M. Nadeau ne peut chiffrer le nombre des courtiers touchés par le flou législatif. Mais « la situation concerne la plupart d’entre eux », soutient-il.

Des milliers touchés

Des comptables ont indiqué, sous le couvert de l’anonymat, que les annulations d’incorporation s’accumulent depuis le 1er mai. Uniquement chez Re/Max, on parle de 300 à 500 agents vivant dans l’incertitude, a soutenu l’un d’eux. Selon les données de l’OACIQ, près de 98 % des 17 000 courtiers ont le statut de travailleur autonome.

Au Réseau immobilier La Capitale, la confusion du départ a fait place à « l’attentisme ». Pour Nicolas Ayotte, président de ce réseau québécois abritant 1600 courtiers, « les gens comprennent qu’il va y avoir des ajustements. Ils attendent cette loi depuis un an et demi. Ils sont donc habitués aux délais et les acceptent ». M. Ayotte situe la question de l’incorporation dans un champ plus vaste d’attentes associées à cette loi. « Dans un sens plus large, l’industrie dénonce l’augmentation des frais professionnels. Mais elle applaudit les éléments abordant les enjeux en matière de développement des compétences et du perfectionnement, qui amènent un resserrement des critères à l’entrée, et celui d’une surveillance accrue visant à endiguer le courtage illégal. En bout de ligne, c’est la protection du consommateur qui s’en trouve renforcée. » Est-il bien compris que cette protection n’est pas diminuée par l’incorporation ? « Oui, il n’y a pas d’ambiguïté. Le concept de responsabilité professionnelle est bien compris. Et les recours sont toujours là. Il n’y a pas de différence avec l’incorporation pratiquée chez les autres professionnels », précise M. Ayotte.

À la Fédération des chambres immobilières du Québec, le président du conseil d’administration, Claude Charron, parle d’une onde de choc ressentie, sans toutefois étayer par des données précises. « En retirant du compte le dédoublement des certificats, on parle de 15 000 courtiers. Tous seraient susceptibles de faire appel à l’incorporation dans la mesure où ils peuvent laisser quelques dizaines de milliers de dollars dans la compagnie. Mais si l’on s’en remet à la loi de Pareto, selon laquelle 80 % des effets sont le produit de 20 % des causes, alors 20 % des courtiers pourraient être des candidats réels », a-t-il estimé. Chez les agents agréés, certains se sont inspirés de l’objectif de simplicité et de souplesse de la nouvelle loi pour défaire leur structure d’entreprise. Ils devront revenir aux anciens paramètres, le temps que la confusion se dissipe.

Une loi mal rédigée

Dans son alerte fiscale émise le 10 mai dernier, le CQFF a évoqué une loi mal rédigée. Il a souligné le fait que la nouvelle loi ne semble pas autoriser une société par actions à exploiter une entreprise de courtage immobilier. Du moins, l’article 37 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage prévoit qu’une rétribution d’un courtier immobilier peut être versée à une personne morale contrôlée par ce courtier. Mais puisque cette même loi stipule que seule, une personne physique a le droit d’exercer une entreprise de courtage (à moins de détenir un permis d’agence), le revenu de commission serait alors imposé à la personne physique (lire le courtier) et non pas à la société par actions.

Dans son avertissement, le CQFF revient sur le processus suivit par les ordres professionnels depuis 2001, les membres d’une quinzaine d’entre eux pouvant désormais exercer leur profession au sein d’une société par actions. Cette situation est survenue dans un premier temps après l’ajout des articles appropriés au Code des professions en 2001. Dans un second temps, les ordres professionnels ont adopté un règlement sur l’exercice de la profession en société par actions. Or, pour l’industrie du courtage immobilier, l’article 37 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage est venu indiquer, entre autres, la possibilité de verser la rétribution à une société par actions contrôlée par le courtier immobilier. Malheureusement, aucun article de la Loi sur le courtage immobilier ne permet à une société par actions d’exercer ladite entreprise de courtage. Certains diront que le courtier immobilier n’aura qu’à se procurer un permis d’agence. Malheureusement, cela n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Loin de là même ! »

Le CQFF poursuit en reprenant des extraits d’un communiqué émis par l’OACIQ en avril, sous forme de questions-réponses. À la question « Est-ce qu’une compagnie qui reçoit des rétributions par le courtier peut faire du courtage ? », la réponse est « Non. Pour ce faire, cette compagnie doit obtenir un permis d’agence auprès de l’OACIQ ». À la question « Est-ce qu’une agence est obligée d’accepter de verser les rétributions à une compagnie contrôlée par un courtier qui travaille pour elle ? », la réponse est également « Non, l’agence n’a aucune obligation en ce sens ».

D’ailleurs, à Revenu Québec, on refuse d’émettre une décision anticipée. « Le ministère du Revenu semble être réceptif, mais pour lui, la Loi est claire, et il ne donnera pas de décision anticipée. Cela nécessite une modification à la Loi », soutient M. Charron. Et qui dit modification législative dit long processus, avec tous ses aléas (élection, changement de ministre, etc.) », énumère-t-il.

Le problème pourrait s’étendre à la déductibilité des dépenses admissibles. « Il pourrait y avoir problème avec la TPS et la TVQ », ajoute M. Nadeau. Le président de l’OACIQ souligne toutefois qu’une demande a été formulée auprès du ministère des Finances afin que le libellé de la Loi soit revu. « Le principe est accepté, mais il s’agit d’un problème de rédaction. Pour plus de sûreté, nous avons demandé au ministère des Finances de nous réécrire tout cela. Nous avons également embauché un fiscaliste. Autant de notre côté que de celui du ministère des Finances, il existe une volonté de régulariser le tout. » On ne peut cependant affirmer avec certitude que le tir sera corrigé avant la fin de l’année. « Nous sommes en train d’évaluer la nature du changement à apporter, pour déterminer s’il doit être législatif ou réglementaire, et s’il doit être inscrit au sein d’un projet de loi omnibus. S’il faut modifier la loi, nous devrons agir lors de la prochaine session à l’Assemblée nationale. »

Une incohérence passée sous le radar

En clair, l’industrie souhaitait un article visant à faciliter l’incorporation du courtier immobilier. Le statu quo permettait l’incorporation, mais il fallait multiplier les structures. Il s’ensuivait une administration plutôt lourde, plutôt complexe. « Nous voulions sauvegarder l’aspect fiscal associée à la possibilité, pour un courtier, de recevoir une rétribution par l’intermédiaire d’une société par actions tout en simplifiant l’administration. » Le Règlement a été modifié sans que la Loi ne soit changée en conséquence. « Le modèle existait dans trois provinces, en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Dans ces premières provinces, l’encadrement était similaire au nôtre. Et ces provinces n’ont jamais eu de problème avec l’Agence du Revenu du Canada », précise M. Nadeau. « Le ministère des Finances a regardé le tout. Le ministère de la Justice également. Il ne semblait pas y avoir de problème », se défend-il.


Cet article est tiré de l’édition d’octobre du magazine Conseiller.
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