L’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut toujours faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible.
– Woody Allen

Comment des gens intelligents peuvent-ils prendre des décisions financières stupides ? C’est la question à laquelle tente de répondre le « gourou » américain Bert Whitehead, dont nous avons soumis les thèses à quelques conseillers d’ici.

Dans son ouvrage Why Do Smart People Do Stupid Things with Money, Bert Whitehead propose, dans un langage très vivant et accessible, une série de remèdes contre ce qu’il appelle la « dysfonction financière ».

« La majeure partie de l’information financière que vous recevez est incorrecte, ou ne s’applique pas à vous », prévient d’emblée ce conseiller et formateur de plus de 35 ans d’expérience originaire de l’Arizona, qui porte fièrement le chapeau de cow-boy sur son portrait officiel.

Dans son livre accompagné d’un DVD, Bert Whitehead dresse huit portraits-types d’investisseurs dysfonctionnels, établis selon une grille formée d’un côté par la motivation (qui oscille entre les pôles de la peur et de l’avarice) et de l’autre, par la propension à épargner ou dépenser.

La « dysfonction financière » en huit profils

Aux coins de la grille, on trouve d’abord quatre extrêmes : le grippe-sou (motivé par le gain, très épargnant), le joueur compulsif (motivé par le gain, très dépensier), l’avare (motivé par la peur, très épargnant), et le dépensier abusif (motivé par la peur, très dépensier).

Au centre de la grille, quatre profils plus communs : l’entrepreneur (qui se nourrit du risque), le nicheur (axé sur la propriété), le voyageur (qui préfère dépenser en expériences plutôt qu’en possessions), et le bon vivant (qui travaille fort et achète de nombreuses possessions sans se soucier du lendemain).

Chacun de ces profils présente un ou plusieurs symptômes de la dysfonction financière : l’aversion des hypothèques; une réactivité excessive au risque (trop peureuse ou trop enthousiaste); des dépenses compulsives accompagnées d’un endettement; une mentalité de pauvreté (tendance à sous-estimer la valeur de son travail); une certaine avarice; une paranoïa envers les services financiers; une difficulté à assumer les grosses arrivées d’argent.

En route pour la guérison, Bert Whitehead nous encourage à suivre certains trucs simples dans le domaine des hypothèques, des prêts-auto, des placements et autres investissements, selon le statut de travail et l’étape de vie de chacun. En chemin, il nous invite à déterminer nos valeurs, à définir nos objectifs et à atteindre l’équilibre dans nos finances. Pour y parvenir, certains devront aller jusqu’à modifier leur conception générale de l’argent, une habitude parfois aussi difficile à changer que la cigarette ou une mauvaise alimentation, affirme l’auteur.

Au passage, Bert Whitehead présente son propre système-maison de répartition de l’investissement, le « système Cambridge », présenté sous forme de pyramide (à ne pas confondre avec la vente pyramidale !).

Enfin, il explique comment bien choisir un conseiller indépendant au forfait – seule ressource vraiment fiable selon lui – et nous invite à nous méfier des médias qui préfèrent les titres accrocheurs plein de promesses à des paroles plus sages comme « Achetez et gardez », « Investissez à long terme » ou « Minimisez vos coûts de transactions »…

Farouchement indépendant

Tout au long de son ouvrage, révisé en 2007 pour sa troisième édition, Bert Whitehead fait l’apologie des conseillers indépendants rémunérés à honoraires. C’est selon lui la meilleure source de conseils objectifs personnalisés, à l’abri des influences extérieures . « Méfiez-vous des conseils financiers motivés par un programme caché, des attentes secrètes ou des motifs ultérieurs. Cette situation s’applique à presque tous les conseils que vous recevrez des institutions financières comme les banques, les courtiers, les compagnies d’assurance et les fonds communs […] Bien que ces institutions soient indispensables à la prospérité de notre société, leurs conseils sont le plus souvent basés sur ce qui est bon pour elles, et pas forcément pour nous », peut-on lire dans son ouvrage.

VOS RÉACTIONS

Michel Mailloux, président, Mayhews et associés

« Je prends ce genre de profils d’investisseurs avec un sourire : c’est peu explicatif, un peu fourre-tout. On peut en conclure ce que l’on veut, mais cette nomenclature a l’avantage d’être vivante, dans un style preacher. Bref, c’est très américain !

M. Whitehead croit que tout le monde a la capacité d’interpréter le monde financier, mais ce n’est pas le cas. Les erreurs financières ne sont pas une question d’intelligence; certains investisseurs paraissent stupides d’un point de vue d’expert, mais sont très logiques de leur point de vue ! D’autres encore font de l’aveuglement volontaire.

Il n’y a pas de recette idéale dans notre domaine. Même les gourous de la planification ne s’accordent pas entre eux : certains, comme M. Whitehead, adorent les hypothèques, tandis que d’autres disent de ne surtout pas en prendre ! Plutôt que de faire des profils, je préfère regarder chaque client, juger s’il aime le risque ou pas, et respecter cela tant qu’il est conscient de tous ses choix. »

Jean-Pierre Vachon, Vachon et Associés

« C’est bien de vanter les conseils indépendants à honoaires, mais c’est de l’angélisme. Seuls les plus nantis choisissent cette forme de rémunération. Les gens ne sont pas idiots, mais ils ne sont pas prêts à payer ce prix d’emblée. Parmi mes clients, 98 % choisissent la commission et les frais de sortie, même quand je leur explique qu’ils paieront la même chose au bout du compte en optant pour un forfait. »

Caroline Rhéaume, avocate et vice-présidente, Gestion de patrimoine, Richardson GMP

« L’intelligence, c’est quoi ? Les décisions d’investissement dépendent souvent de facteurs extérieurs à la logique, purement irrationnels. Il y a l’influence des amis et des médias, il y a le vécu émotionnel, etc. Parfois, on rencontre des gens qui ont 10 millions de dollars mais qui se cassent la tête à faire eux-mêmes leur changement d’huile, pendant que d’autres pigent dans leur REER pour se payer un voyage. Certains ont de l’argent mais dépensent peu, tandis que d’autres n’en ont pas et dépensent beaucoup.

Il faut conseiller nos clients, mais il faut aussi respecter leurs particularités émotives. On vise un idéal d’équilibre, mais dans la vraie vie, on ne peut pas être uniquement logique ou uniquement émotif, ce ne serait pas sain. »

Bernard Martin, planificateur financier, Desjardins cabinet de services financiers

« En faisant des profils, on tombe vite dans les clichés, mais ces profils ont le mérite de bien résumer certaines situations.

Il s’agit de définir le mot intelligence. J’ai connu un homme détenteur d’un doctorat qui a encaissé son fonds de pension au moment de sa retraite parce que ses amis lui ont dit qu’ils pouvaient l’aider sur le marché boursier, mais leurs connaissances étaient limitées; la chute est arrivée et aujourd’hui, chaque tranche de 1 000 $ qu’il retire lui coûte 1 400 $. C’était bien sûr une erreur monumentale, mais c’est souvent le cœur qui parle plutôt que l’esprit.

Autre exemple : un homme d’affaires très brillant s’est fait recommander des fonds Métaux précieux par son beau-frère. Il n’y a que les gens qui travaillent dans l’industrie des métaux précieux qui font de l’argent avec ces fonds ! Et quand tout le monde en parle, c’est qu’il est déjà trop tard pour acheter. Heureusement, je lui ai fait revoir sa décision à temps.

Il faut se méfier des fonds-vedettes, des plats du jour. C’est notre rôle de calmer les ambitions des gens et de les mettre sur la bonne voie, surtout s’il s’agit de personnes qui n’ont connu que des placements fixes dans leur vie et ne sont pas prêts à affronter la volatilité. Finalement, les placements n’ont rien à voir avec l’intelligence; c’est plus une question d’expérience, de méthode et de rigueur. »

Peter Tsakiris, planificateur financier, PEAK

« Avant de juger de l’intelligence des gens, il faut comprendre qu’ils n’ont pas toujours l’expertise, le temps ou l’intérêt pour bien comprendre notre domaine. Je l’ai compris moi-même à partir d’une expérience personnelle : mon fils est atteint de leucémie. Lorsque son médecin m’a expliqué sa démarche et m’a demandé de faire des choix, j’avais reçu tellement d’informations en peu de temps que je me suis senti perdu. Et pour la première fois de ma vie, je me suis mis dans la peau d’un client qui fait face à une réalité complexe. Il est essentiel de prendre le temps d’expliquer l’information en détail.

En 30 ou 50 ans d’investissement, on peut sortir de la route toute tracée à bien des reprises. Il y a toujours des évènements qui pourront nous rendre irrationnels. Par exemple, après le 11 septembre 2001, un de mes clients au portefeuille considérable a voulu tout vendre pour aller dans le marché monétaire; il se faisait des scénarios de guerre mondiale et perdait toute sa rationalité habituelle. Je lui ai dit que le marché allait rebondir, qu’il fallait tenir bon, mais ça n’a rien donné et j’ai dû liquider son portefeuille. Un mois plus tard, la guerre n’ayant pas lieu, il a voulu retrouver ses positions précédentes. Je lui ai dit de le faire en plusieurs étapes, il n’a pas voulu. Le marché a rebaissé et il a perdu énormément. Je lui ai montré un modèle fictif de ce qu’il aurait gagné en ne faisant rien : ça donnait 300 000 $. Il a appris pour de bon à me faire confiance…

L’investissement n’est pas une science, mais un art. Tout le monde croit que la performance des actions suit une loi statistique normale, mais ce n’est pas le cas. Notre travail, c’est de bien évaluer le seuil de tolérance du client face aux mauvaises périodes qu’il connaîtra à coup sûr durant sa vie d’investisseur. Si je compose le portefeuille en revenus fixes et en actions dans le respect de son seuil de tolérance, il saura traverser la tempête. Mais il n’y a pas de modèle pour bien évaluer ce seuil. Ça se fait avec le temps, en apprenant à connaître chaque personne. »

Cet article est tiré de l’édition de septembre du magazine Conseiller. Consultez cet article au format PDF.