La nouvelle politique de rémunération des conseillers en placement à la Banque TD a suscité plusieurs réactions de la part de nos lecteurs.

En général, on s’offusque du traitement que la TD réservera à ses conseillers l’an prochain lorsque cette politique entrera en vigueur. Il faut dire que le numéro deux bancaire au pays n’a pas choisi de bonifier la rétribution de ses employés les plus productifs. Au contraire, elle veut réduire celle des représentants qui ne vendent pas assez à son goût.

En réponse aux questions de Conseiller.ca, l’institution financière a commenté en 136 caractères : « La TD cherche à recruter les personnes les plus talentueuses. Nos modèles de rémunération sont adaptés au marché et visent à intéresser les meilleurs candidats. » Un tweet.

Les autres intervenants que nous avons consultés, eux, en avaient plus à dire. « Ça nous heurte profondément. La TD va offrir un service à trois étages : un pour les gros comptes, un autre pour les comptes moyens et un dernier pour les petits comptes. Obligés de tirer le maximum de leurs clients, les conseillers se placeront en perpétuelle situation de conflit d’intérêts. C’est très troublant », dit Normand Caron, conseiller en formation au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC).

« Tirer le maximum » représentera tout un défi pour les conseillers de la TD. Par exemple, ceux qui généreront moins de 399 999 $ en commissions et en frais annuels ne toucheront que 20 % de ce montant. Actuellement, ils reçoivent entre 30 % et 44 %. « Ce payout de 20 % n’est vraiment pas élevé. Un conseiller qui rapportera 399 999 $ ne fera que 80 000 $. Mais pour produire autant de commissions par année, il faut vendre en saint simonac », lance Daniel Bissonnette, chef de la conformité chez Services financiers Planifax.

L’organisme FAIR Canada, l’équivalent du MEDAC hors du Québec, indique que l’instauration de quotas peut pousser les représentants à vendre davantage plutôt qu’à répondre aux besoins des clients. « Les bonis de performance devraient être conçus pour motiver les conseils qui sont dans le meilleur intérêt du client », affirme FAIR Canada. Apparemment, ce n’est pas ce que prévoit la politique de rémunération de la TD.

DU PAIN SUR LA PLANCHE 

Il reste qu’on peut se demander si la TD réussira à réaliser ses objectifs financiers avec sa nouvelle façon de faire. À l’instar de toutes les compagnies d’assurance et banques canadiennes, elle compte sur sa division de gestion de patrimoine pour remplir ses coffres. Or, la concurrence est déjà au maximum dans ce secteur.

La TD, qui part de loin, devra mettre les bouchées doubles pour se démarquer. Osons une simple comparaison afin de donner une idée du boulot qu’elle devra abattre. Au cours des trois premiers trimestres de 2013, les activités de gestion de patrimoine de la TD ont généré des revenus de 2,7 milliards de dollars. Cela semble considérable, mais attention : pour le seul 3e trimestre de 2013, la Financière Manuvie a engrangé près de cinq fois plus, soit 11,3 milliards de dollars. C’est 34 % de plus qu’il y a un an. Et Manuvie n’a pas l’intention de s’endormir sur ses lauriers. Elle mettra le paquet pour consolider sa présence en Asie et aux États-Unis, où elle est implantée depuis plusieurs années déjà.

Comme la TD nourrit le projet de devenir le leader de l’industrie dans le secteur de la gestion de patrimoine d’ici 2017, ses conseillers en placement ont donc du pain sur la planche. Pour atteindre les cibles de production, ils devront mettre l’accent sur les ventes croisées et le référencement à l’intérieur même de la TD. Par exemple, 20 % de leur rémunération leur sera versée s’ils réussissent à convaincre au moins 16 clients de faire affaire avec l’une ou l’autre des entités de la TD.

M. Caron s’inquiète des risques de dérapages qu’une telle politique peut créer. « Entre deux placements, l’un favorable à la TD, l’autre au client, le conseiller de la TD mettra lequel de l’avant? », s’interroge le formateur. FAIR Canada ne s’en fait pas outre mesure, pour autant que l’institution financière divulgue à ses clients tous les termes régissant le référencement. « La réglementation du secteur des valeurs mobilières prévoit des règles concernant les frais liés au référencement. Toute recommandation d’achat doit respecter des normes de convenance », explique FAIR Canada.

Bien sûr, mais que pensez-vous des possibles conflits d’intérêts que M. Caron voit se profiler? « Le potentiel de conflit d’intérêts existe quand le conseiller reçoit un paiement d’un tiers parti, non pas d’un consommateur », signale FAIR Canada. Nous voilà rassurés.

LES CLIENTS LAISSÉS POUR COMPTE 

Même en supposant qu’il n’y aura pas de problèmes déontologiques, on peut se demander comment les conseillers de la TD pourront soutenir le rythme que dictera leur employeur. « Ils subiront une pression indue pour faire des choses qu’ils ne feraient pas s’ils en avaient le choix. Les gens seront sujets à des dépressions [nerveuses]. Je les plains, et je plains surtout leurs clients », se désole M. Bissonnette.

En effet, les clients de la TD, surtout les moins fortunés, comme les jeunes qui débutent dans la vie, risquent d’être laissés pour compte dans cette aventure. Comment générer des commissions annuelles de centaines de milliers de dollars lorsque Monsieur et Madame disposent de REER totalisant moins de 100 000 $, par exemple ? En multipliant les transactions dans leurs comptes ? Sûrement pas : ça crée des problèmes de toutes sortes, à la conformité notamment.

« On les dirigera plutôt vers les succursales bancaires. Ils commenceront par faire affaire avec le conseiller A, qui sera transféré six mois plus tard à l’autre bout de la province. On leur désignera alors le conseiller B, qui sera transféré lui aussi. Ensuite, ce sera le conseiller C, et ainsi de suite », illustre M. Bissonnette.

Les consommateurs qui ont peu d’épargne risquent donc d’être conseillés au petit bonheur. Ceux qui sont plus fortunés seront-ils mieux servis? C’est à voir. En effet, la TD ne paiera plus les conseillers chaque fois qu’ils ouvrent un compte enregistré (REER, REEE) pour leurs clients. Elle estime que ces comptes sont généralement trop petits et que les clients y effectuent trop peu de transactions.

Cela ne surprend pas FAIR Canada. « Les banques ne font déjà pas la promotion active des REEE. De leur côté, les consommateurs ignorent qu’il existe des façons d’ouvrir des REEE à peu de frais, ce qui leur permettrait de profiter des subventions qui y sont associées », dit l’organisme. Quant aux banques, « elles devraient avoir la responsabilité sociale d’encourager les Canadiens à utiliser les REEE, surtout les personnes à faible revenu qui peuvent être admissibles aux Bons d’études canadiens », ajoute FAIR Canada.

Mais la TD n’a pas l’air de vouloir prendre cette orientation. « Elle est probablement la seule parmi les sept grandes banques canadiennes à ne pas se donner la peine de remplir les obligations requises pour permettre à leurs clients québécois de recevoir l’IQEE [Incitatif québécois pour l’épargne-études] dans leur REEE. On voit sa grande préoccupation à fournir une “expérience client exceptionnelle“ », ironisait le conseiller en épargne collective Robert Viau dans notre groupe de discussion LinkedIn, La Voix des conseillers.

Daniel Bissonnette s’attriste de toute cette histoire. « Avec les modèles de rémunération qu’on cherche à imposer aux conseillers indépendants, les petits clients n’auront pas les moyens de retenir leurs services. Si maintenant les banques canadiennes les laissent tomber, où iront-ils ? Qui s’occupera d’eux? »